Privé du courant électrique plus
de la moitié de l’année, un collectif suggère à Nana Kontchou le retour à
l’ancienne formule moins couteuse et plus efficace. Le DG d’Enéo doit également
ordonner la réhabilitation du réseau de Yabassi complètement vétuste.
Le 19 mai dernier, la lumière
était de retour dans la ville de Yabassi après près de trois semaines
d’interruption, la énième du genre depuis le début de l’année. En effet, les
populations de Yabassi soutiennent avoir déjà connu plus de soixante jours
d’interruption du courant électrique depuis le mois de janvier 2018. Bien
avant, l’année dernière, le 07 août 2017, les populations de la cité capitale
du Nkam étaient descendues dans la rue pour réclamer le retour du courant
électrique qui était absent des ménages depuis plus de trois mois. A Yabassi,
la vie de tous les jours est depuis bien longtemps suspendue aux caprices du
courant électrique d’Enéo dont le réseau local est en piteux état selon les
informations des agents d’Enéo.
Plus grave, comme nous le
révélions déjà dans l’une de nos parutions du mois d’août 2017, la maintenance
de ce réseau est confiée à des sous-traitants véreux qui ‘‘s’engraissent sans
fournir le moindre effort’’. Outre la mauvaise qualité de service de ces
sous-traitants, les lenteurs administratives chez Enéo et le mauvais état du
réseau contribuent à priver la ville de Yabassi du courant électrique. Comme
ces trois dernières semaines où il a suffi d’un vent un peu violent pour
renverser plus de 20 poteaux moyenne et basse tension entre Ntabako et Yabassi
ville. Les agents d’Enéo assurent que ‘‘ c’est en réalité l’ensemble du réseau administré
par Nkongsamba qui est tombé à cause de ce vent’’. Ainsi, de Yabassi à Nkongsamba, en passant
par Loum, Mbanga et autres, on a noté des interruptions du courant électrique
dans tous ces secteurs. En effet, disent encore les agents d’Enéo, ‘‘ce réseau
est pratiquement vétuste, en particulier entre Loum et Yabassi où tous les
poteaux sont pourris’’. Davantage, ‘‘les travaux d’élagage confiés à nos
sous-traitants sont mal effectués’’, soutiennent-ils. En clair, les agents
d’Enéo admettent que leurs sous-traitants ne font pas toujours correctement
leur travail (voir article plus bas).
Tirer une deuxième ligne à partir de Douala
Las de subir tous les jours les
coupures de courant dont les conséquences sont désastreuses sur l’économie locale
et la qualité de vie, les populations de Yabassi suggèrent au DG d’Enéo de
revenir à l’ancienne formule ‘‘moins couteuse et plus efficace’’ en mettant sur
pied une équipe technique locale chargée de la maintenance du réseau. D’après
les leaders d’un collectif que La Tribune du Nkam a rencontré le 20 mai dernier
à Yabassi, cette solution aurait l’avantage de permettre, comme par le passé,
une intervention rapide et efficace sur le réseau en cas de panne. ‘‘Il suffit
de deux agents techniques (qui seront constamment appuyés par les populations
locales), et de quelques poteaux MT et BT pour que tout se passe dans de bien
meilleures conditions’’, soutient le principal leader du collectif. Celui qui
est considéré comme son adjoint renchérit en affirmant que ‘‘les populations
locales autrefois recrutées pour faire le travail d’élagage étaient plus
assidues, aujourd’hui, les sociétés qui arrivent ne font presque rien’’. Pour
les membres de ce collectif, il faut absolument revenir à l’ancienne formule et
mettre un terme aux coupures prolongées d’électricité à Yabassi. A défaut,
disent-ils, il faudra tirer une deuxième ligne à partir de Douala. D’après les
membres dudit collectif, un courrier en préparation et comportant toutes leurs
propositions sera soumis dans les prochains jours au DG d’Enéo.
Dans cette correspondance, il
sera également suggéré à Nana Kontchou d’ordonner la réhabilitation du réseau
électrique de Yabassi complètement vétuste. ‘‘Tous les poteaux sont pourris, en
brousse comme en ville, ils en tombent tous les jours, il suffit d’un petit
vent’’, témoigne un habitant de Bonabéké (un quartier de Yabassi). En effet, en
faisant le tour du centre urbain, l’on constate que de nombreux poteaux sont
couchés au sol ou en voie de l’être. La dernière entreprise qui a travaillé sur
le réseau a remplacé quelques-uns, surtout les poteaux moyenne tension, mais
beaucoup reste encore à faire. Il faudra aussi couper les grands arbres tout le
long du réseau entre Loum et Yabassi et couper l’herbe sur une distance de 15
mètres le long des deux côtés de la ligne.
Marie
Solange Mpessa
Le
business juteux de l’entretien du réseau électrique Loum-Yabassi
Cet article a déjà été publié
dans l’une de nos éditions du mois d’août 2017. Compte tenu de son actualité,
nous la republions pour édifier nos lecteurs sur l’ambiance qui prévaut au sein
des entreprises chargées d’entretenir le réseau électrique Loum-Yabassi. Chaud
devant.
Lundi 14 août 2017, nous sommes
dans le bar de M. Aimé Mbitock, un établissement situé au centre administratif
de la ville de Yabassi. Les éléments recueillis dans le cadre de notre enquête
entamée trois jours plus tôt vont davantage se bonifier, grâce à une rencontre
fortuite. Alors que nous partageons avec des amis des informations collectées
auprès de diverses sources au sujet du mouvement d’humeur des populations de
Yabassi, un jeune homme d’à peine 30 ans se rapproche de notre table. Nous
l’appellerons Bernard pour des raisons de sécurité. Une fois installé, Bernard
se présente comme étant un ancien stagiaire de la société Egecam. Il affirme
avoir effectué, il y a quelques années déjà, un stage dans cette société qui
appartiendrait à un ancien directeur de l’agence Enéo de Nkongsamba. D’entrée
de jeu, Bernard balance : ‘‘ les coupures d’électricité à Yabassi sont
causées par les sous-traitants d’Enéo qui s’engraissent sans fournir le moindre
effort’’. Nous voilà mis en appétit.
Des activités périphériques qui rapportent gros
De nombreuses autres révélations
aussi inattendues les unes que les autres vont se succéder au fur et à mesure
que nous avançons dans nos échanges. Comme cette fois où mis en mission pour
effectuer des travaux d’élagage autour des poteaux électriques et remettre en
service des lignes coupées entre Sollè et Yabassi, ils se sont plutôt livrés, à
la demande de leur chef d’équipe, à des activités périphériques qui
rapportaient gros. Ainsi, soutien Bernard, le véhicule pick-up affecté à la
mission a servi à plusieurs reprises au transport des régimes de plantains
entre Sollè et Loum, le carburant destiné aux scies à moteur a été revendu au
marché noir et ces mêmes scies à moteur ont été utilisées le temps de la
mission dans des chantiers de coupe sauvage de bois aux environs de Sollè. Et
la mission alors ? Gêné, notre interlocuteur a d’abord hésité avant de
nous confier ce que lui-même a qualifié de sorcellerie. ‘‘Quand les agents Enéo
ont appelé pour savoir s’ils pouvaient relancer la lumière, notre chef d’équipe
a donné son feu vert tout en sachant que nous n’avions rien foutu sur le
réseau’’, confie-t-il. Selon Bernard, ce chef de réseau aurait même passé tout
son temps dans un bar de Sollè à ingurgiter des petites Guinness. Pourtant,
quelques heures après le coup de fil des agents Enéo, il rappelait ces derniers
pour les informer que le signal d’un éventuel retour de l’énergie électrique
sur la ligne n’était pas visible. En d’autres termes, il y aurait sans doute un
autre problème sur le réseau et cette fois ce sera encore une nouvelle mission
au cours de laquelle le même stratagème va s’opérer.
En réalité, d’autres sources
contactées avant notre rencontre fortuite nous avaient déjà révélé des
pratiques du même type au sein des entreprises de sous-traitance qui assurent
la maintenance du réseau électrique entre Loum et Yabassi. Les autorités
administratives du Nkam qui se sont déplacées en forêt avec les équipes
affectées par Enéo pour résoudre la crise de Yabassi ont également constaté
qu’il n’existait même pas de layon pour circuler aisément dans une forêt
pourtant régulièrement fréquentée par des équipes de maintenance du réseau.
N’est-ce pas là une preuve supplémentaire que ‘‘beaucoup de ces travaux dits
d’entretien du réseau électrique sont en réalité fictifs’’ ? Alors
questions : sur quelles bases Enéo s’appuie-t-elle pour rémunérer les
travaux effectués par ces sous-traitants ? Existeraient-ils ‘‘ un pacte de
connivence’’ entre certains agents Enéo et ces sous-traitants ? Ces
suspicions légitimes sont davantage confortées par les mécanismes de
fonctionnement de la sous-traitance de maintenance du réseau électrique entre
Loum et Yabassi.
Risques de dérives
D’après des sources au sein de la
compagnie électrique, la panne serait d’abord constatée par le conducteur de
réseau du bureau Enéo de Yabassi qui peut se déclarer incompétent et dans ce
cas il informe la direction régionale à Nkongsamba qui confie la mission à
Erecam (l’actuel maintenancier du réseau). Cette mission est ensuite suivie par
le même conducteur de réseau de Yabassi qui établit naturellement tous les
rapports nécessaires à la validation de la mission. Comme on peut le constater,
outre les lenteurs générées par un tel système, il existe également des risques
de dérives pouvant entrainer des situations comme celles vécues par les
populations de Yabassi depuis plusieurs années. En effet, le sous-traitant est
payé en fonction de ses interventions sur le réseau et il n’est pas exclu que
ces interventions ne soient toujours pas justifiées, lorsqu’elles ne sont pas
tout simplement provoquées. De même, quid des missions d’élagage autour des
poteaux électriques évoquées par Bernard qui ne sont que partiellement
réalisées ou même pas du tout réalisées.
Les bruits de la défaillance des
sous-traitants d’Enéo sont également parvenus dans les oreilles de l’homme
d’affaires Manfouo Moïse, un magnat local de l’agro-industrie qui opère à
Dimbong (proche de Sollè) où sont installées ses usines assez gourmandes en
énergie électrique et dont les pertes de production causées par les coupures
récurrentes de courant électrique sont élevées. D’après nos sources, ce dernier
aurait déjà fait agréer par Enéo une nouvelle structure de son groupe qui
devrait se spécialiser dans la maintenance de ce type de réseau. L’on gagnerait
tous à confier la maintenance de ce réseau à cet opérateur économique qui a
tout à perdre si le courant électrique venait à manquer de manière récurrente
comme c’était encore le cas il y a quelques jours.